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Être psychologue au Maroc : entre engagement sociétal et vide juridique .

Dans un contexte mondial en constante évolution, où les souffrances psychiques, sociales et relationnelles deviennent de plus en plus visibles, le rôle du psychologue s’impose comme une nécessité dans tous les secteurs : santé, éducation, travail, protection sociale, accompagnement du handicap, justice, etc. Pourtant, au Maroc, la profession de psychologue reste méconnue, mal encadrée et sans statut juridique clair, malgré son utilité incontestable.

👉Cet article vise à sensibiliser le public, les décideurs, ainsi que les psychologues eux-mêmes, à l’urgence de reconnaître et de structurer la profession dans toute sa diversité.

  1. Une profession aux multiples visages… et à l’importance sous-estimée.

 La création d’un statut officiel de psychologue, avec un ordre professionnel ou une instance de régulation, est une condition indispensable pour garantir la qualité des accompagnements.

  Être psychologue, ce n’est pas uniquement exercer dans le champ clinique. Comme dans de nombreux pays, les psychologues au Maroc interviennent dans une grande diversité de domaines : 

  • Psychologie de l’éducation : dans les établissements scolaires, pour prévenir l’échec, accompagner les élèves et soutenir les équipes pédagogiques.

  • Psychologie du travail et des organisations : pour comprendre les dynamiques professionnelles, prévenir les risques psychosociaux et améliorer la qualité de vie au travail.

  • Neuropsychologie : pour évaluer et accompagner les troubles cognitifs (enfants, adultes, personnes âgées).

  • Psychologie et handicap : Interviennent auprès des personnes en situation de handicap,réalisent des évaluations, participent à l’élaboration de projets personnalisés, soutiennent les familles, , favorisent l’inclusion .

  • Psychologie sociale et du développement : dans les ONG, associations, structures d’accueil, programmes communautaires.

  • Psychologie clinique : en libéral, en milieu hospitalier, en institution, pour accompagner les personnes en souffrance psychique, à travers des entretiens cliniques, des psychothérapies, des évaluations psychologiques ou encore un travail de soutien et d’orientation.

   Malgré cette pluralité de champs d’intervention, les psychologues marocains travaillent souvent dans l’ombre, sans reconnaissance officielle, ni cadre légal pour garantir leur éthique et leur déontologie .

  1.  Le paradoxe du manque : des besoins croissants, peu de psychologues

  Les chiffres sont éloquents : selon les dernières données, le Maroc ne compte que 214 psychologues (Le360, 2022). Ce nombre est largement insuffisant au vu :

  • De l’augmentation des troubles psychiques, de l’anxiété et de la détresse émotionnelle ;

  • Des besoins en accompagnement dans les écoles, les entreprises, les institutions sociales ;

  • De la nécessité d’inclure des psychologues dans les politiques de santé publique, de justice et d’éducation.

⚠️ Ce manque ne concerne pas seulement les cliniciens, mais l’ensemble des spécialités : il n’existe pas assez de postes publics ni de conditions d’exercice favorables pour encourager les jeunes diplômés à rester et à s’épanouir dans la profession.

  1.  L’absence de statut : un frein à la reconnaissance et à la qualité

  Le cœur du problème réside dans l’absence d’un statut professionnel unifié et reconnu. Aujourd’hui :

  • Il n’existe aucune législation marocaine spécifique encadrant le titre de « psychologue » ;

  • Tout diplômé en psychologie n’a pas les mêmes débouchés ni reconnaissance selon son lieu d’exercice ;

  • Le flou juridique favorise la confusion avec d'autres professions ou pratiques non réglementées (coaching, développement personnel, etc.).

 👉Cette absence de cadre met en danger à la fois les psychologues (sans protection professionnelle) et les usagers (sans garantie de qualité ni d’éthique).

  1. Des crises révélatrices et une santé psychologique oubliée.

   Crises sanitaires ou catastrophes naturelles, telles que les pandémies ou les séismes, ont mis en évidence la fragilité psychologique de la population, mais aussi le manque d’intégration des psychologues dans les dispositifs d'urgence. Ces situations extrêmes ont révélé plusieurs lacunes:

  • L'absence de cellules de soutien psychologique organisées à grande échelle ;

  • La surcharge émotionnelle vécue par les professionnels de terrain, les enseignants, les familles, les étudiants… sans réel accompagnement ;

  • La mobilisation spontanée de nombreux psychologues, souvent bénévoles, mais sans cadre clair ni appui institutionnel.

💡 Ce rappel historique souligne que les psychologues – toutes spécialités confondues – devraient être considérés comme des acteurs essentiels des politiques de gestion de crise, au même titre que les autres professionnels de santé ou de secours.

  1. Vers une reconnaissance pleine et entière du métier de psychologue

  Il est temps d’agir. Pour que les psychologues puissent exercer leur métier dans des conditions dignes, en cohérence avec leur formation universitaire, il est urgent de :

  • Créer un statut officiel du psychologue au Maroc, qui protège la profession et encadre son exercice ;

  • Définir clairement les spécialisations et les compétences attendues dans chaque champ (clinique, scolaire, organisationnel, etc.) ;

  • Renforcer la formation initiale et continue, avec des critères d’habilitation rigoureux ;

  • Créer des postes dans la fonction publique, dans les écoles, les hôpitaux, les structures sociales, les prisons, etc.


  Cette reconnaissance ne servira pas que les professionnels : elle est essentielle pour la population, qui a besoin de repères, de sécurité, et d’un accès à une aide psychologique de qualité, dans tous les domaines de la vie.




Références

  1. Conseil Économique, Social et Environnemental. (2022). Santé mentale au Maroc : urgence d’un nouveau cap. SNRT News. 

  2. Le360. (2022, juillet). Santé mentale: le Maroc compte seulement 343 psychiatres et 214 psychologues. 

  3. Le Matin. (2023, avril). Le Maroc compte moins d’un psychiatre pour 100.000 habitants. 

  4. Organisation mondiale de la Santé. (2019). Mental health atlas 2017.










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